• Lorsqu'on tente de discerner quelques grands problèmes contemporains, on s'aperçoit que Simone Weil peut nous apporter un éclairage toujours pertinent.

    Passage et présence de Simone Weil, état des lieux

     

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  • Le séminaire de Présence Philosophique au Puy a consacré une séance, celle du 27 novembre dernier, à Michel Houellebecq, lecteur de notre temps. La communication d'introduction portait sur Houellebecq et Schopenhauer.

    Le retour de Michel Houellebecq, "le plus grand écrivain français vivant" -  DH Les Sports+

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  • Le séminaire de Présence Philosophique au Puy a consacré sa séance du 27 novembre à Michel Houellebecq. La deuxième communication portait sur la figure du CREPUSCULE chez cet auteur.

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    Notre histoire intellectuelle et politique, 1968-2018, Pierre Rosanvallon, Seuil, 2018

    Notre histoire intellectuelle et politique (1968 - 2018) - Poche - Pierre  Rosanvallon - Achat Livre | fnac

     Pierre Rosanvallon, dans ce livre, fait un retour sur son propre parcours, celui de sa carrière, de ses recherches, de son évolution : cinquante ans, c’est aussi l’histoire d’une génération française, celle qui aura été la sienne.

    Sous son allure anodine, le titre dit déjà beaucoup : il lie l’histoire intellectuelle et l’histoire politique. C’est indiquer, dès l’abord, la limite non seulement du livre, mais de la conception de la pensée qui est à l’œuvre dans ce livre. Je suis, pour ma part, de ceux qui croient que la vie de l’esprit ne devient vraiment elle-même que lorsqu’elle se détache de l’histoire politique, lorsqu’elle s’en épure et accède à son domaine propre. Quel type de penseur aura donc été Pierre Rosanvallon ?

    D’abord, un penseur admirable, sans aucun doute, par la constance de ses recherches, par l’étendue de son érudition, par l’intérêt de ses travaux, par sa vie consacrée à la réflexion. Mais, disons-le tout de suite, cet historien de la pensée politique manque, à nos yeux, d’être un philosophe dans la mesure même où il arrime la pensée à l’histoire sociale.

    Ce livre n’est donc pas une histoire de la philosophie française des cinquante dernières années. Il n’est pas davantage une histoire des sciences bien qu’il consacre un chapitre intéressant à un authentique savant, Pierre Bourdieu (p. 273 sq). Ce qu’ont, en effet, en commun la philosophie et les sciences, c’est de ne pouvoir exister qu’en rupture avec les enjeux sociaux et politiques de leur époque. Cette rupture épistémologique est la condition sine qua non qui permet aux recherches savantes de se déployer selon des catégories et des questions propres, autonomes, qui ne sont pas les questions ambiantes.

    Pierre Rosanvallon serait, j’imagine, d’accord pour reconnaître que cette rupture, il ne la cherche pas. Il se présente lui-même comme le penseur organique de la deuxième gauche française. Cela n’altère pas son honnêteté intellectuelle et ne fait pas de lui un esprit partisan mais montre bien qu’il ne considère les sciences humaines qu’en tant qu’elles peuvent accompagner et éclairer les évolutions sociales et politiques du pays. Or un abîme sépare le philosophe et le savant du penseur organique.

    La méthode même de Rosanvallon illustre son positionnement. « L’attention aux problèmes contemporains les plus brûlants et les plus pressants, écrit-il, ne saurait se dissocier d’une méticuleuse reconstruction de leur genèse. » (p. 13) Belle méthode qui prend acte que toute histoire naît d’un regard sur le présent et lui évite de s’enfermer dans le confort de l’érudition désintéressée. Cependant, il est toujours périlleux de se risquer à définir « les problèmes contemporains » dans une actualité touffue et multiforme. Comment les identifie-t-il ?

    L’individualisme et son articulation avec le collectif, les transformations du capitalisme et la compréhension du néolibéralisme, la montée du populisme, la crise démocratique : voilà, selon lui, ce qui fait notre actualité. Mais, comme sa réflexion est tournée vers l’action et que celle-ci doit être gouvernée par un idéal d’émancipation, Rosanvallon aborde ces questions en se demandant comment ouvrir, en déjouant les pièges de la régression, un nouvel âge de la modernité et une nouvelle dynamique d’émancipation.

    J’ai lu ce livre avec quelques questions en tête. La principale, comme indiqué, est l’articulation de l’histoire intellectuelle et de l’histoire politique. Mais les deux ne s’équilibrent pas constamment de la même façon. C’est une évidence que l’intellectuel a perdu l’importance qu’il avait au temps de la grande pensée française des années soixante, soixante-dix. J’ai cherché chez Rosanvallon des éclaircissements sur cette régression de l’intellectuel par rapport au politique. Et, effectivement, cette question est centrale dans son ouvrage. Elle est au cœur de sa deuxième partie qui s’intitule « Le temps du piétinement ».

    Grand connaisseur de la Révolution française et ami de François Furet, Rosanvallon conçoit spontanément la fonction intellectuelle sur le modèle de la philosophie des Lumières dont on dit qu’elle a préparé et rendu possible l’advenue de la République. Les grandes évolutions politiques, pour lui, sont les effets des avancées de la pensée. Aussi fait-il commencer son livre avec mai 68. On peut regretter de voir toujours mis en avant ce mois de mai, soit par ceux qui en font l’apologie et y voient une rupture décisive (c’est le cas de Rosanvallon), soit par ceux qui y voient une abomination et le début d’une décadence française. Sans négliger les événements de rue, j’aurais tendance à ne les considérer que comme l’expression de masse d’un mouvement épistémologique, qui n’est rien moins que l’émergence des sciences humaines. À mon sens, Rosanvallon n’en rend pas bien compte en privilégiant nettement les transformations du marxisme et en minimisant l’influence profonde de la psychanalyse, et aussi des avant-gardes artistiques, à quoi il faut ajouter l’affirmation d’une sociologie scientifique, sans négliger le retentissement des existentialismes et de certaines philosophies comme celle de Nietzsche. La pensée critique issue des sciences humaines (qui ne peut se réduire à la prégnance du modèle épistémique de la structure) avait déjà derrière elle une histoire assez longue lorsqu’elle s’est trouvée confrontée à l’installation en France, à cause du problème algérien, à la mise en place d’un pouvoir politique autoritaire. Ce qu’il s’agit de décrire, donc, ce n’est pas l’histoire intellectuelle et politique de ce moment, mais celle de la dissociation entre l’autorité intellectuelle et le pouvoir politique. La première part dans le sens d’une certaine anthropologie ouverte tandis que, dans le même temps, l’histoire politique passe dans les mains de quelques anciens combattants et se fige en une constitution bonapartiste. Ce qui fait l’intérêt de cette période, c’est précisément le fossé qui se creuse entre les sciences et la politique, les événements de rue n’en étant que la manifestation, dans les deux sens du mot. À la suite de quoi le courant scientifique va s’épanouir et donner à ceux qui l’ont porté une forte autorité intellectuelle.

    Rosanvallon pointe bien toutefois ce qu’il nomme, dans le courant des années 80, un « piétinement », un « essoufflement », un « engourdissement » de la pensée. Puisqu’il avait une position centrale dans cette histoire, on peut le croire lorsqu’il mentionne une certaine tendance des chercheurs à s’enfermer dans leur travail universitaire, à cultiver l’érudition, à se replier sur leur propre sujet et leur propre métier sans désir d’intervenir dans le débat public. Il y a certainement eu un désinvestissement du politique, en son sens le plus large, par les sciences humaines en ces années-là (ce qui se traduira, un peu plus tard, par une désaffection de masse à l’égard de la démocratie). Lorsqu’engagements il y avait, Rosanvallon les qualifie de principalement négatifs : l’antiracisme, l’antifascisme, l’antijacobinisme, etc. Ce qui revient à dire que n’ont plus été audibles que les intellectuels qui montaient au créneau pour défendre l’ordre en place. Dans les années Mitterrand, beaucoup n’ont pas voulu soutenir positivement le pouvoir (sauf certains comme Debray), mais ont néanmoins pensé qu’il ne pouvait rien se faire de mieux pour l’époque.

    Sans lui dénier une certaine pertinence, l’analyse du Rosanvallon semble cependant bien insuffisante. Principalement parce qu’elle est trop occupée par la relation entre la vie de l’esprit et la vie politique pour prendre réellement en compte, à un niveau plus profond, les évolutions de l’État. Les politiques gouvernementales demeurent des phénomènes de surface. Derrière elles et moins visibles, il faut chercher les structures de la domination et leurs mécanismes. Elles ont aussi leur histoire, un peu plus lente et moins visibles. Ce sont elles qui ont intégré les intellectuels qui avaient le goût de l’action dans des dispositifs technocratiques. Et, de la sorte, elles ont réussi à émousser le tranchant critique des sciences humaines et à en faire des sciences sociales tournées vers le gouvernement des hommes.

    Il y a, chez un intellectuel comme Rosanvallon, deux causes d’aveuglement. Le premier est qu’il est resté trop proche des politiciens qui ont tendance à considérer que la politique est ce qu’ils font ou voudraient faire : c’est de la politique au quotidien, avec des idées, de la volonté, des conflits entre les partis. Cette vision-là laisse dans une certaine forme d’inconscient l’histoire propre aux structures, qui n’est finalement que peu commandée par les politiciens. Elle obéit à des lois que les meilleurs historiens savent discerner, à condition qu’ils se tiennent à distance de l’action. Or Rosanvallon, par son engagement sans faille en faveur d’une certaine gauche, a toujours été trop près des centres du pouvoir politique.

    Le deuxième aveuglement de notre auteur se cristallise à travers un mot qu’il emploie souvent : le progressisme. En réalité, il n’a jamais renoncé à l’idée d’un sens de l’histoire. C’est pourquoi il parle de piétinement, mot qui signifie l’atermoiement d’une marche qui pourtant repartira et dans la même direction. C’est ce qui éclate lorsqu’il reprend à son compte un livre dont on comprend qu’il a été l’inspirateur : celui de Lindenberg sur les nouveaux réactionnaires. Cette catégorie fourre-tout, qui n’a d’autre but que de stigmatiser de nouveaux regards sur l’histoire, ne peut se comprendre que si l’on se réfère à une notion prédéterminée du progrès à l’égard de laquelle toute recherche en d’autres sens passe pour régressive et hérétique.

    Rosanvallon montre avec pertinence la genèse du néo-nationalisme qui pourrait bien la misère des années 2020. Elle renvoie à des projets idéologiques déjà là dès les années 1970, ceux de la nouvelle droite. Celle-ci est effectivement parvenue à ravir l’hégémonie culturelle au progressisme de la deuxième gauche, à partir des années Sarkozy. Mais on peut s’étonner que Rosanvallon n’aille pas un peu plus dans l’autocritique ! Ce retour de balancier idéologique est lié, à mon sens, à l’incapacité de remettre en question l’idée même de progressisme pour parvenir à une lecture plurielle de l’histoire. Tout progressisme appelle un contre-coup réactionnaire et des projets de restauration. D’autant qu’on lui laisse le champ libre dès lors que les intellectuels en place semblent se satisfaire d’une situation acquise, collaborent avec les pouvoirs (Rocard a tout de même été premier ministre), si ce n’est en participant directement à la vie politicienne, du moins en se laissant assimiler par les structures technocratiques.

    En somme, Rosanvallon n’est pas bien placé pour éclairer ce segment historique pour la raison indiquée dès le début : la vie de l’esprit n’est pas faite pour accompagner le mouvement de l’histoire, mais pour y faire en permanence objection et y opposer d’autres valeurs, qui sont celles de la recherche de la vérité et de l’intériorité.

    S’il y avait lieu d’invoquer une preuve patente des aveuglements de Pierre Rosanvallon, ce serait le silence complet qu’il garde sur les questions d’écologie. A un moment, une remarque sur André Gorz, dont il avait été proche, est particulièrement savoureuse : il dit que Gorz « se retirera de la scène parisienne et restreindra son champ de travail en se concentrant sur l’écologie » (p. 129) ! Comment mieux avouer les préjugés dont les aveuglements se nourrissent ! L’idée que la vie intellectuelle se passe sur « la scène parisienne », l’idée que l’écologie est un sujet restreint ! Rosanvallon semble ne pas voir que l’écologie est partie pour remanier tout le champ des catégories politiques et pénétrer jusque dans les structures de la domination.

    En somme, Pierre Rosanvallon aura été un bel exemple de ces intellectuels d’une gauche progressiste. Il a fait évoluer et a contribué à structurer un champ idéologique dont on peut penser qu’il est aujourd’hui en perdition. Partant du présent pour comprendre le passé, il nous laisse des travaux historiques très précieux, mais notre présent ne s’en trouve pas pour autant éclairé. Il y a lieu de déporter son « histoire intellectuelle et politique » en une histoire des sciences et des structures de domination. Car, à toute époque, les sciences creusent un fossé entre les vérités qu’elles découvrent et les structures sociales dominantes qui servent à encadrer la vie des hommes. C’est de cet écart entre les institutions souveraines et l’histoire de la vérité qu’il faut faire l’histoire.

     


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  • Notre séminaire PROBLEMES ET PENSEURS DU PRESENT a été lancé le 4 octobre 2019. En voici la séance inaugurale qui présente les orientations de la recherche.

     

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  • De la science à la jouissance

    Par Puy PhiPsy, le 8 novembre 2021. 

    Oedipe le Salon

    Dans Au risque de la topologie et de la poésie, Elargir la psychanalyse, Toulouse, Erès, 2018, Michel Bousseyroux montre bien comment le dernier Lacan s’est mis en quête du réel, par delà l’imaginaire et le symbolique. Il a cru que le réel s’écrit ou se figure, à défaut de pouvoir se dire. Il a surtout cru en la voie mathématique pour accéder au réel. En cela, Lacan est dans la droite ligne de Galilée qui a pensé, à l’aube des temps modernes, que « la nature est un livre écrit en langage mathématique ».

    Lacan tout comme Freud a voulu faire de la psychanalyse une sorte de science. Freud, qu’on accuse souvent de « scientisme », prenait la biologie comme science de référence. Sa conception de la pulsion et de la libido est quasi physiologique. Pour lui, les phénomènes nerveux restent l’infrastructure de la vie psychique. Lacan, lui, prend les mathématiques comme science de référence. Les mathématiques sont l’autre versant des sciences modernes, qui sont à la fois expérimentales et déductives. Lacan s’inscrit autant que Freud dans une conception scientifique du réel. Il croit que le réel se mathématise.

    Bousseyroux montre bien une rupture, chez le dernier Lacan, qui le conduit à passer d’une mathématique qui formalise le réel par des rapports et s’exprime par des lettres à une géométrie des rubans. Collant de près à la mathématique de son époque, Lacan s’intéresse à la topologie. Celle-ci est une orientation de la géométrie du dix-neuvième siècle qui étudie le continu dont aucun nombre ne peut rendre compte. Les nœuds borroméens relèvent de la géométrie et semble dépasser, pour Lacan, l’écriture des lettres et des mathèmes.

    Bousseyroux suit Lacan dans sa quête du réel, qui prendrait trois formes, chacune reposant sur une découverte mathématique. Le principe d’incomplétude de Gödel pose que le réel n’est pas totalisable : il n’y a pas de tout, il y a du pas-tout. Le principe de continuité de Cantor pose que le réel n’est jamais dénombrable, puisqu’il est continu et que les nombres sont discontinus. Le réel ne se compte pas. C’est à partir de là que Lacan en vient à donner la priorité au géométrique sur le numérique. En géométrie l’espace se montre. Il se montre avec des rubans, des boucles, des nœuds. Mais cet espace réel ne peut ni s’exprimer avec du langage, ni s’exprimer avec des fonctions ou des mathèmes.

    Par une sorte de conception géométrique de l’inconscient, Lacan en vient, selon Bousseyroux, à repenser la cure : en tant qu’elle vise à rendre le sujet au réel, elle doit expulser l’interprétation. Rien ne doit s’interpréter de l’inconscient, ni les rêves, ni les symptômes. Bousseyroux va même à parler d’un inconscient réel, qui serait asémantique, non symbolisable, hors sens. « Avec le nouage borroméen R.S.I., le réel est défini comme l’expulsé du sens, l’aversion du sens » (Bousseyroux, p. 387). Si bien que la fin de la cure serait une sorte de réveil : il n’y a rien à interpréter dans l’inconscient, il n’y a aucun sens à y chercher. On aimerait que Bousseyroux aille jusqu’à dire, mais il ne le dit pas si j’ai bien compris, que Lacan, de même qu’il subvertit la linguistique en linguisterie, subvertit pareillement la topologie des mathématiciens en jeu borroméen.

    La question que, pour ma part, je me pose porte sur la jouissance du vieux Lacan : quelle jouissance éprouvait-il à nouer ses bouts de ficelle ? Là où le sens se troue et fait faillite, il ne reste, certes, que de la jouissance. « Jouissance opaque d’exclure le sens », comme écrit le psychanalyste dans Joyce le symptôme. Lalangue, c’est de la jouissance, et c’est en cela que Lacan devient, comme il dit, « post-joycien ». Mais la jouissance n’est toute dans la langue : elle est aussi dans le jeu avec les nombres et les figures, dans le jeu avec ce qui s’attrape et échappe dans l’espace. La jouissance borroméenne est d’une sorte particulière. Faite de glissement, de transformation et de déformation permanente, elle est étrangement coulante, coulissante, liquide. Est-ce qu’elle vient résoudre enfin, et dissoudre, l’ambition scientifico-mathématique de la psychanalyse ? Et comment alors la psychanalyse en ressort-elle, passant de la science à la jouissance ?

    Elle en sort lacanienne, en tout cas, la psychanalyse de l’école de Paris, celle qui s’est répandue, à juste titre, partout dans le monde. Mais des psychanalyses, il y en a d’autres (il y en a notamment de grandes en Suisse, avec Jung, avec Binswanger, il y a aussi l’anglaise, l’américaine, et plein d’autres) ! D’autres qui ne sont pas totalement engagées dans l’hors sens de la jouissance. Il y a bien de la psychanalyse, certes, dans l’école de Paris, mais la psychanalyse n’y est pas toute, pour parler comme le maître.


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  • Lacan et la science

    Par Puy PhiPsy, le 8 novembre 2021. 

    Lituraterre, 1971, in Autres écrits

    Jacques Lacan, Déclaration à France-Culture en 1973 - Patrick Valas

    A son retour du Japon, Lacan interroge la jouissance ce ceux qui viennent l'écouter.

    Quand je parle de jouissance, j'invoque légitimement ce que j'accumule d'auditoire et pas moins, naturellement, ce dont je me prive. Ça m'occupe, votre affluence. Le ravinement, je l'ai préparé.

    Il se rend compte qu'il est devenu un effet de mode. Comme il y a aussi une mode du Japon, et lui, il ne revient pas charmé du tout par la Japon, à la différence de Barthes dont il parle avec déférence. Sans doute voudrait-il que ceux qui affluent vers lui n'en reviennent pas charmés non plus. Car comment peut-on devenir psychanalyste si l'on est sous le charme de Lacan, et si l'on suit un effet de mode ?

    On ne peut pas comprendre ce texte en ignorant le différend qu'il file avec Barthes. Barthes est le sémiologue de cette génération là. En ce début des années 70, il prône un retour au plaisir du texte dans la critique littéraire. Sous couvert de déférence, c'est la différence qui le sépare de Barthes que Lacan cherche à dire ici.

    Il commence par corriger le titre que Barthes a donné au livre qu'il a écrit en rentrant du Japon. Ce n'est pas rien de corriger le titre d'un auteur. Il dit que le livre à la mode intitulé L'empire des signes devrait s'appeler "L'empire des semblants". Je vous laisse apprécier l'ironie socratique de Lacan.

    L'empire des signes, il intitule ça. Dans les titres on fait, des termes, souvent un usage impropre. Enfin, on fait ça pour les éditeurs. Ce qui veut dire évidemment que c'est l'empire des semblants. Il suffit de lire le texte pour s'en apercevoir. Enfin, le japonais, le japonais mythique, le petit japonais du commun, m'a-t-on dit, la trouve mauvaise — du moins c'est ce que j'ai entendu làbas.

    Cette correction, en fait, mine l'objet même de la discipline qu'enseigne Barthes au Collège de France. En effet, dire que les signes sont des semblants revient à dépasser la sémiologie. Non pas à la nier, mais à la rendre caduque.

    Au lieu de parler de "texte" comme Barthes, avec déférence extrême à l'égard de l'oeuvre, il parle d'Ecrits (et il dit que c'est un titre ironique). Il faut se souvenir de ce qu'était, à cette époque, l'approche formaliste en critique littéraire, dont Barthes s'était fait le champion : il ne fallait référer le texte à rien d'autre qu'à lui-même, le clore sur lui-même, le sacraliser, le sanctifier, le fétichiser. C'est à cela que Lacan s'oppose en faisant référence au glissement qu'opère Joyce entre a letter, la lettre, et a litter, l'ordure.

    Au jeu que nous évoquons, il n'y eût rien gagné puisqu'il allait tout droit, avec ce a letter, a litter, tout droit au mieux de ce que l'on peut attendre de la psychanalyse à sa fin.

    Là où Barthes met en avant le plaisir, Lacan met en avant l'ascèse, c'est-à-dire la science.

    Barthes est sans doute le meilleur représentant de la critique littéraire de ces années-là. L'amitié cache sans doute bien des choses. Barthes, quoiqu'ami de Lacan, a exprimé les plus grandes réserves à l'égard de l'usage de la psychanalyse en critique littéraire, et plus généralement à l'égard de la psychanalyse. Lacan renvoie Barthes a sa jouissance. Il dénonce "le frotti-frotta littéraire". En contexte, on comprend bien ce que ça signifie ici la critique lacanienne de la jouissance textuel au nom de la science. La jouissance d'un critique si proustien, et qui met l'oeuvre si haut, au ciel de l'idéal (et un psychanalyste sait ce qu'il en est de la jouissance homosexuelle et de son rapport à l'idéal). C'est justement dans ce contexte qu'il faut comprendre ce qu'il nomme l'effet de féminisation de la lettre, comme ce qui arrive à ceux qui se sont faits, dit-il, "les dévôts de l'écriture".

    La sémiologie donc, la sémiologie qui s'impose comme critique littéraire dominante (Barthes entrera au Collège de France en 1977) n'est pas une science : c'est une jouissance, et Barthes l'avoue.

    S'expliquer avec Barthes, et à travers lui avec les descendants de Sausure, est-ce anecdotique ? Non, je crois que ça dépasse la question du Japon. Les descendants de Sausure, on les a étiquettés "structuralistes" et on y a mis, dans le même sac, Levy-Strauss, Barthes, Lacan et plein d'autres. En marquant la différence avec Barthes, Lacan dit qu'il ne peut pas y avoir de structuralime, parce qu'il n'y a pas de tout. L'un de l'un n'est pas l'un de l'autre.

    Barthes est allé au Japon, Lacan en est revenu ! Tout se joue, bien sûr dans ce retour en passant par la Sibérie. Le Japon est un paradis pour les sausuriens. C'est comme ça que Barthes l'a abordé : le lieu d'une confirmation de sa sémiologie, commencé par la mode occidentale, poursuivie par la critique littéraire. Lacan ne cherche pas des confirmations, mais des remises en question. C'est un chercheur. Il dit, à propos de l'omniprésence d'un code conventionnel dans le spectacle des marionettes japonaises :

    C'est là ce qui a dû soulager Barthes.

    Juste après, il dit, à son propos, mais entendons bien l'ironie toute socratique :

    Vous vous rendez compte, si j'étais soulagé !

    En revenant du Japon, Lacan a amorcé un virage comme quelqu'un qui en est vraiment revenu des signes, des signifiants et des semblants. Et il se met à interroger le réel.

    Dans l'avion du retour, Lacan passe au dessus de la Sibérie et en avion. L'expérience du retour détruit le charme qu'il aurait pu trouver au Japon. De là où Barthes était revenu avec L'Empire des signes, Lacan revient avec une siberiéthique !

    La Sibérie, c'est sûr, ça n'a pas le même charme que la Japon. Ca a quand même été (qui pourrait croire que Lacan n'y pense pas) un lieu d'extermination. Ca, c'est du réel, du réel historique brut et brutal. On pourrait croire que Lacan ici n'en parle pas. Mais, quand même, quand il fait résonner l'occire dans l'occident, on ne peut pas dire qu'il n'en dise rien.

    Lacan regarde du hublot de l'avion. Mais il sait aussi ce qui soutient son regard : cet avion dont on se demande par quel miracle il ne tombe pas. Cette merveille, c'est l'aéronautique. Et l'auréonautique, c'est la science, ce sont des formules, des calculs. Et ces calculs, c'est du réel, puisque ça tient l'avion en l'air.

    Notre science n'est opérante que d'un ruissellement dpetites lettres et de graphiques combinés. Il est de fait que dans la science, l'écriture a fait merveille, et que tout marque que cette merveille n'est pas près de se tarir.

    La science dit le réel en lettre. Le langage, lui, ne peut dire, avec le signifiant, que le semblant, et la jouissance que ça procure.

    L'écriture, la lettre, c'est dans le réel et le signifiant, dans le symbolique.

    La critique littéraire, elle, s'est développée au sein de l'université. Le discours universitaire, c'est du savoir qui jouit d'un rapport particulier. Ce rapport, c'est la référence. Ca consiste à appuyer ce qu'on dit sur ce que quelqu'un a déjà dit afin de l'augmenter, càd lui donner de l'autorité, le fonder sur des auteurs.

    savoir mis en usage à partir du semblant.

    Lacan nomme "ascèse" cet effort de la science pour sortir du semblant.

    Une revue de littérature demande à Lacan un texte sur "littérature et psychanalyse". Elle le fait parce que, depuis longtemps, on a voulu faire de la psychanalyse un outil de critique littéraire. Face à cela, Lacan répond que la psychanalyse n'est pas du côté du littéraire : elle est du côté de la science. Pas des sciences humaines, ou sciences molles. Mais du côté des sciences dures, comme la physique ou l'astrophysique. Parce qu'elle cherche le réel hors des représentations qu'on s'en fait, hors du signifiant. Lacan tente une mathématisation de la psychanalyse.

    Le projet scientifique est, dès l'invention de la psychanalyse, au coeur de la démarche freudienne. Mais Freud est tributaire de la biologie et de la médecine de son époque : pour lui, la science est principalement mécaniste.

    Le biologiste que va voir Lacan et qui lui écrit des formules sur le tableau noir, des formule que Lacan ne comprend pas, n'a plus rien à voir avec le biologiste du temps de Freud. A l'époque de Lacan, le contexte épistémologique a changé. Il y a eu Einstein et il y a eu des révolutions en mathématique. Désormais, on définit la science comme la capacité de rendre compte du réel par une théorie qui se présente comme une axiomatique. La science s'écrit en langage mathématique. Ce qui, d'ailleurs, avait déjà été la grande intuition de Galilée, comme le met en évidence le livre de Husserl : "la nature est un livre qui s'écrit en langage mathématique". Alors Lacan cherche le réel avec l'écriture mathématique.

    Pour ma part, je pense que c'est une voie sans issue. La mathématisation lacanienne des relations humaines est vouée à l'échec. N'empêche que cet échec découvre beaucoup de choses sur son chemin. C'est une erreur heuristique : c'est comme ça que je lis Lacan.

    Je me demande même si ce n'est pas comme ça qu'il se lit, lorsque par exemple on trouve cette formule :

    Savoir en échec, voilà où la psychanalyse se montre au mieux

    Alors voilà que Lacan revient du Japon est semblant n'avoir retenu qu'une chose : les japonais, eux aussi, se sont mis aux sciences et tehcniques.

    la seule communication que j'y ai eue — hors les européens bien sûr, avec lesquels je sais m'entendre selon notre malentendu culturel —, la seule que j'ai eue avec un japonais c'est aussi la seule qui, là-bas comme ailleurs, puisse être une communication, de n'être pas dialogue, c'est une communication scientifique.

    Pour Lacan, la science mathématisée est la seule entente qui peut passer d'une civilisation à une autre. Il ne croit pas au dialogue des civilisations. Parce qu'il ne croit pas au dialogue tout court. Entre les civilisations, c'est comme entre les sujets : il ne peut y avoir que du malentendu.

    Par exemple, tout le travail qu'a fait depuis un François Jullien, pour faire médiation entre la pensée chinoise et la pensée occidentale, Lacan n'y pourrait croire. Selon Lacan, ce qui est l'un des axes des recherches actuelles, à savoir établir des traductions entre civilisations qui se sont jusqu'à présent ignorées, ça relève d'une sorte d'utopie nouvelle : croire à la communication entre civilisations.

    En revanche, quand on lit Lacan, il peut être utile de l'actualiser. Notamment quand il dit :

    Cependant la science physique se trouve… va se trouver ramenée à la considération du symptôme dans les faits par la pollution 

    Le réel, c'est ce qui revient dans le symptôme. Quand crève le nuage du semblant, ce qu'il en pleut, ce sont des pluies contaminées. C'était avant Tchernobyl, puisque Lacan survole l'union soviétique, et avant Fukushima, puisqu'il revient du Japon. C'est souvent par la catastrophe que le réel se manifeste et que tombe le semblant. Si le réel fait ravin, c'est qu'il s'ouvre pour nous comme la possibilité d'une chute. Lacan, c'est une version tragique de la psychanalyse.

    Pourtant, la psychanalyse repose bien sur la cure. Ca veut dire qu'elle est faite pour soigner. Ou du moins pour prendre quelques précautions pour que le réel n'en vienne pas toujours à tourner mal. Mais de la cure dans le sens habituelle, je veux dire dans le sens individuelle, il n'en est pas question dans cette intervention, pourtant faite pour former des psychanalyses. Il est question de science, de technique, d'art. Il est aussi question de politique. De politique, il en est justement question lorsqu'on aborde le symptôme, et qu'on s'attendrait donc à une sorte de thérapeutique. Voici le passage :

    Que le symptôme institue l'ordre dont s'avère notre politique, c'est là le pas qu'elle a franchi, implique d'autre part que tout ce qui s'articule de cet ordre soit passible d'interprétation. C'est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n'être pas du tout repos, pour ce qui de la politique a fait figure jusqu'ici, si la psychanalyse s'avérait plus avertie.

    Il est indubitable qu'ici Lacan donne à la psychanalyse un autre rôle, un rôle supplémentaire : celui, si ce n'est de se substituer à la politique, du moins d'aider celle-ci à interpréter d'une manière plus avertie les symptômes et à nouer une relation plus appropriée avec le réel. Ouvrir à la cure un autre destin, un destin collectif, un destin politique, c'est sans doute ce à quoi Lacan, à ce moment de sa réflexion, invite les psychanalystes qu'il forme. Et c'est là-dessus qu'il sent qu'il va échouer. Avec une lucidité que, depuis sa mort, on ne fait que vérifier. Car on peut se demander par qui, depuis, il a été entendu, alors que les symptômes écologiques et politiques n'ont fait que croître. La politique, évidemment, livrée à elle-même, est dans le discours, donc dans le semblant. Et la médiatisation n'a fait qu'accroître ce gros nuage.

    Lacan s'inscrit en faux contre tous ces voyageurs ou penseurs occidentaux, qui ont cru trouver de l'autre en extrême-orient, de l'autre très différent, de l'étranger, de l'ailleurs : Claudel, Ségalen, Heidegger, tant d'autres, et Barthes. Pour Lacan, l'orient ou l'occident, c'est du pareil au même : l'empire du semblant. Aussi, en étant revenu, il cherche le littoral. Non pas la frontière : il y en a tant sur la terre ; mais le littoral qui est un bord béant, un bord sans autre bord, une lèvre unique. Et il dit ceci :

    Cette rupture donc, du semblant, qui dissout ce qui faisait forme, phénomène, météore, c'est ça, je vous l'ai déjà dit : la science s'opère au départ de la façon la plus sensible de l'effort d'en percer l'aspect.

    La voie qui passe à travers, qui perce et va au vide, c'est la recherche scientifique contemporaine. C'est la grande aventure d'Einstein, de la physique quantique qui explore les arcanes de la matière et de l'univers. La lettre est ce qui cherche à attraper quelque chose de ce mystère des champs cosmiques. La psychanalyse, je veux dire la psychanalyse de Lacan, disons celle de l'Ecole de Paris, participe à cette aventure. Elle est elle aussi une écriture du réel.

     

    Cartel du Puy, février 2018


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  • Dans le cadre du Cartel des Forums du champ lacanien qui se réunit régulièrement au Puy, j'ai voulu rendre compte d'un livre important de Colette Soler, psychanalyste parisienne de renom qui est à l'origine de cette Ecole des Forums. Une occasion de plus de penser, à travers une lecture, la relation qu'il est aujourd'hui possible d'établir entre la philosophie et la psychanalyse. 

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  • Alain Mallet est le co-auteur, avec Jean-Claude Monier, d'un essai sur le philosophe Alfred Fouillée. Il nous indique ici pour quelles raisons il s'agit d'un auteur à découvrir. 

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  • Tête De Femme Avec L'arbre Concept De L'écologie Verte Clip Art Libres De  Droits , Vecteurs Et Illustration. Image 32531146.

    ECOPHILO est le nom d'une émission mensuelle d'une demi-heure sur RCF 43. L'émission peut s'écouter n'importe quand en podcast à partir de ce lien :

    La maltraitance animale | Ecophilo | RCF

    ECOPHILO est aussi un cercle de réflexion qui se réunit de manière irrégulière et peut intervenir à la demande pour des animations autour de la philosophie de l'écologie.

    ECOPHILO est aussi ce qui s'exprime dans cette rubrique du présent blog.

    A Ecophilo, nous avons reçu des philosophes et des naturalistes, comme Dominique Bourg, Françoise Dastur, Gilbert Cochet, ainsi que d'autres invités.

    Depuis quelques mois, nous avons commencé une série d'émissions sur les grandes figures de l'écologie ou qui la préfigurent. Les dernières émissions sont :

    Pierre Rabhi et l'Ardèche.

    Francis Hallé et l'Afrique.

    Heidegger, précurseur de l'écologie.

    Le pape François et l'écologie. 

    Les prochaines émissions seront :

    Elisée Reclus et les Alpes. 

    Simone Weil et l'écologie, en lien avec La pensée écologique de Dominique Bourg :

    Simone Weil, l’une des sources philosophiques de la pensée écologique – La pensée écologique (lapenseeecologique.com)

     

    Nous répondrons à toute question sur ce site. 

     


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