• Au risque de la topologie et de la poésie, Elargir la psychanalyse, Michel Bousseyroux, Toulouse, Erès, 2018, par Puy Philpsy.

    De la science à la jouissance

    Par Puy PhiPsy, le 8 novembre 2021. 

    Oedipe le Salon

    Dans Au risque de la topologie et de la poésie, Elargir la psychanalyse, Toulouse, Erès, 2018, Michel Bousseyroux montre bien comment le dernier Lacan s’est mis en quête du réel, par delà l’imaginaire et le symbolique. Il a cru que le réel s’écrit ou se figure, à défaut de pouvoir se dire. Il a surtout cru en la voie mathématique pour accéder au réel. En cela, Lacan est dans la droite ligne de Galilée qui a pensé, à l’aube des temps modernes, que « la nature est un livre écrit en langage mathématique ».

    Lacan tout comme Freud a voulu faire de la psychanalyse une sorte de science. Freud, qu’on accuse souvent de « scientisme », prenait la biologie comme science de référence. Sa conception de la pulsion et de la libido est quasi physiologique. Pour lui, les phénomènes nerveux restent l’infrastructure de la vie psychique. Lacan, lui, prend les mathématiques comme science de référence. Les mathématiques sont l’autre versant des sciences modernes, qui sont à la fois expérimentales et déductives. Lacan s’inscrit autant que Freud dans une conception scientifique du réel. Il croit que le réel se mathématise.

    Bousseyroux montre bien une rupture, chez le dernier Lacan, qui le conduit à passer d’une mathématique qui formalise le réel par des rapports et s’exprime par des lettres à une géométrie des rubans. Collant de près à la mathématique de son époque, Lacan s’intéresse à la topologie. Celle-ci est une orientation de la géométrie du dix-neuvième siècle qui étudie le continu dont aucun nombre ne peut rendre compte. Les nœuds borroméens relèvent de la géométrie et semble dépasser, pour Lacan, l’écriture des lettres et des mathèmes.

    Bousseyroux suit Lacan dans sa quête du réel, qui prendrait trois formes, chacune reposant sur une découverte mathématique. Le principe d’incomplétude de Gödel pose que le réel n’est pas totalisable : il n’y a pas de tout, il y a du pas-tout. Le principe de continuité de Cantor pose que le réel n’est jamais dénombrable, puisqu’il est continu et que les nombres sont discontinus. Le réel ne se compte pas. C’est à partir de là que Lacan en vient à donner la priorité au géométrique sur le numérique. En géométrie l’espace se montre. Il se montre avec des rubans, des boucles, des nœuds. Mais cet espace réel ne peut ni s’exprimer avec du langage, ni s’exprimer avec des fonctions ou des mathèmes.

    Par une sorte de conception géométrique de l’inconscient, Lacan en vient, selon Bousseyroux, à repenser la cure : en tant qu’elle vise à rendre le sujet au réel, elle doit expulser l’interprétation. Rien ne doit s’interpréter de l’inconscient, ni les rêves, ni les symptômes. Bousseyroux va même à parler d’un inconscient réel, qui serait asémantique, non symbolisable, hors sens. « Avec le nouage borroméen R.S.I., le réel est défini comme l’expulsé du sens, l’aversion du sens » (Bousseyroux, p. 387). Si bien que la fin de la cure serait une sorte de réveil : il n’y a rien à interpréter dans l’inconscient, il n’y a aucun sens à y chercher. On aimerait que Bousseyroux aille jusqu’à dire, mais il ne le dit pas si j’ai bien compris, que Lacan, de même qu’il subvertit la linguistique en linguisterie, subvertit pareillement la topologie des mathématiciens en jeu borroméen.

    La question que, pour ma part, je me pose porte sur la jouissance du vieux Lacan : quelle jouissance éprouvait-il à nouer ses bouts de ficelle ? Là où le sens se troue et fait faillite, il ne reste, certes, que de la jouissance. « Jouissance opaque d’exclure le sens », comme écrit le psychanalyste dans Joyce le symptôme. Lalangue, c’est de la jouissance, et c’est en cela que Lacan devient, comme il dit, « post-joycien ». Mais la jouissance n’est toute dans la langue : elle est aussi dans le jeu avec les nombres et les figures, dans le jeu avec ce qui s’attrape et échappe dans l’espace. La jouissance borroméenne est d’une sorte particulière. Faite de glissement, de transformation et de déformation permanente, elle est étrangement coulante, coulissante, liquide. Est-ce qu’elle vient résoudre enfin, et dissoudre, l’ambition scientifico-mathématique de la psychanalyse ? Et comment alors la psychanalyse en ressort-elle, passant de la science à la jouissance ?

    Elle en sort lacanienne, en tout cas, la psychanalyse de l’école de Paris, celle qui s’est répandue, à juste titre, partout dans le monde. Mais des psychanalyses, il y en a d’autres (il y en a notamment de grandes en Suisse, avec Jung, avec Binswanger, il y a aussi l’anglaise, l’américaine, et plein d’autres) ! D’autres qui ne sont pas totalement engagées dans l’hors sens de la jouissance. Il y a bien de la psychanalyse, certes, dans l’école de Paris, mais la psychanalyse n’y est pas toute, pour parler comme le maître.


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