• Lacan, l’inconscient réinventé, Colette Soler, Paris, PUF, 2009, par Puy PhilPsy

    Dans le cadre du Cartel des Forums du champ lacanien qui se réunit régulièrement au Puy, j'ai voulu rendre compte d'un livre important de Colette Soler, psychanalyste parisienne de renom qui est à l'origine de cette Ecole des Forums. Une occasion de plus de penser, à travers une lecture, la relation qu'il est aujourd'hui possible d'établir entre la philosophie et la psychanalyse. 

    Lacan, l’inconscient réinventé, Colette Soler.

      Colette Soler – Editions Nouvelles du Champ lacanien Lacan, l'inconscient réinventé

     

    La psychanalyse, il faut la prendre par ses effets. Il y a, dans toutes les villes de France, même dans les petites villes comme la nôtre, des psychanalystes. A eux se confient les existences qui se trouvent le plus en difficulté, à leurs moments les plus difficiles. Qu’est-ce qui justifie cette confiance envers ceux dont on sait bien qu’ils ne sont ni des médecins, ni des philosophes ? A quel savoir particulier ont-ils été formés ?

    Tous se réclament de Freud, mais une majorité se réclament aussi de Lacan. Lacan en plus de Freud. Mais quel type de savoir trouve-t-on chez Lacan, qui permette à tant de psychanalystes d’inspirer confiance pour sortir des plus grandes difficultés de l’existence ? On comprend bien l’enjeu qu’il y a à lire ses écrits et séminaires, puisqu’ils sont la référence sur quoi se fonde une pratique sociale très répandue dans le monde entier et qui rejoint l’humain dans ce qu’il a de plus douloureux. Assurément, il n’est pas (pas plus que Freud d’ailleurs) un auteur comme un autre, pas un philosophe parmi les autres philosophes, pas un médecin parmi les autres médecins. Il en faut juger par les effets actuels de son enseignement.

    En s’approchant un peu plus de ces choses, on découvre que Lacan n’a jamais cessé d’évoluer dans sa manière de modéliser la psychanalyse. L’enseignement de Lacan n’est donc pas un, mais multiple, évolutif. Et donc le lacanisme a lui-même évolué selon la période sur laquelle se focalise l’interprétation. Il y a eu plusieurs générations de psychanalystes lacaniens et donc plusieurs écoles issues d’un même maître. Plusieurs écoles associatives qui sont entrées en rivalité entre elles, mais surtout plusieurs corps théoriques.

    C’est avec cette idée qu’il faut approcher le livre de Colette Soler. Analysante de Lacan, elle fonde l’Ecole des Forums du champ lacanien. Mais sur quelle lecture de Lacan. Nous allons essayer une réponse à cette question en prenant uniquement en compte Lacan, l’inconscient réinventé, Paris, PUF, 2009.

     Colette Soler se présente comme une lectrice du dernier Lacan, à partir du séminaire Encore (1972-1973) et du texte L’étourdit (1972). Il est donc postulé qu’à partir de sa soixante et onzième année et jusqu’à sa mort en 1981, Lacan présente une psychanalyse réformée sur le tard. Il y aurait là un tournant dans la psychanalyse. Colette Soler prend bien soin de nous dire que ce lacanisme tardif ne renie pas, n’annule pas les découvertes antérieures, mais les intègre et les réoriente. D’après elle, c’est autour de la notion d’inconscient réel que se construit cette psychanalyse.

    Colette Soler vient de la philosophie et parvient, sur des sujets difficiles, à une grande clarté qui donne à son livre une valeur évidente. Toutefois, c’est bien en psychanalyste disciple du maître qu’elle écrit : elle se fait l’interprète d’un enseignement qu’elle tente d’expliciter, déployant les formules sibyllines et laconiques du grand psychanalyste. Pour notre part, nous allons lire ce livre à partir d’un point de vue différent. La démarche de Colette Soler, comme de beaucoup d’autres interprètes de sa génération, consiste à passer d’un champ disciplinaire à l’autre : elle lâche la philosophie et se situe entièrement dans le champ de la psychanalyse lacanienne, dont elle devient une figure. Comme si philosophie et psychanalyse étaient deux champs s’excluant mutuellement. Notre parti pris est de considérer que ces deux champs se superposent. L’un est dans l’autre, et l’autre en l’un. Pour une philosophie qui voudrait se tenir à la hauteur de son héritage socratique, la psychanalyse représente une part d’elle-même qu’elle doit se réapproprier. S’étant souvent égarée dans ses multiples formes universitaires (à quoi Lacan la réduit), la philosophie est en quelque sorte appelée à redevenir elle-même par la psychanalyse. De même qu’à chaque sujet la cure ouvre l’accès à sa singularité, de même la philosophie, aliénée dans l’université et inscrite dans une histoire factice, est invitée à s’identifier au symptôme socratique auquel elle doit sa naissance et son originalité. Car Socrate est la symptôme de la philosophie.

     Colette Soler expose comment Lacan en vient à sa conception de l’inconscient réel, comment cela transforme la conduite de la cure et sa fin, comment il en résulte aussi une nouvelle clinique ainsi qu’une autre manière de se repérer dans la situation du sujet au sein de la société actuelle. L’inconscient réel est celui qui demeure hors symbolique et se manifeste par la jouissance du symptôme. Il y a un autre inconscient : celui qui se manifeste en perturbant le langage, en le faisant dérailler. Cet inconscient-là, qui troue la structure, qui y introduit sa négativité, s’interprète. Mais l’inconscient réel , dans la « fixion » du symptôme, ne cède à aucune interprétation, n’entre pas dans le sens, il persiste : il se vit dans la jouissance du corps. Et cette jouissance est toujours adjointe à des événements de lalangue. Voilà une partie de ce qu’expose Colette Soler à partir de sa lecture du dernier Lacan.

     Le socratisme peut rejoindre cet enseignement par ce qui en constitue le noyau même, à savoir l’agnose. L’agnose socratique pose l’inadéquation de la vérité et du savoir par quoi le sens est sans cesse en fuite. « L’hystoire » de Socrate, c’est d’aller vers de supposés maîtres et d’en revenir. Le philosophe est celui qui en revient toujours, dans le sens où, dans l’enseignement de tous les maîtres, il trouve la ligne de fuite. Socrate en est, hystériquement ou « hystoriquement », le type. Socrate est le symptôme hystérique du philosophe. Qu’on le considère sous l’angle de son mariage d’hainamour avec Xanthippe ou sous l’angle de son amour hors-corps avec Alcibiade, il semble avoir reconnu le non rapport sexuel, plaçant sa jouissance ailleurs. C’est en prison, en pratiquant la musique, que le philosophe avoue une jouissance qui ne doit rien à l’articulation du sens. La jouissance que le vieux Lacan prend à lalangue, allant jusqu’à se perdre en Joyce, retrouve le socratisme : l’agnose philosophique ouvre à la jouissance sonore. En celle-ci, le corps devient une dimension de l’âme, sa dimension métadiscursive.

    Ce ne sont là que quelques ouvertures vers un vaste chantier, un chantier d’avenir et qu’on peut nommer « le retour à Socrate ». Colette Soler, et c’est bien la limite de son livre intéressant et pédagogique, n’ouvre aucune piste en ce sens, préférant s’en tenir à Lacan, sans jamais en revenir. Mais ça ne veut pas dire que Lacan, lui, n’en ouvre aucune. Aujourd’hui, sommes-nous prêts à aborder Lacan autrement qu’en devenant psychanalyste ? Sommes-nous prêts à envisager qu’au-delà du devenir psychanalyste de la philosophe Colette Soler, il peut y avoir un devenir socratique du psychanalyste à quoi Colette Soler ne s’est pas ouverte ? Ce n’est pas la première fois de son histoire que la philosophie se trouve dans la situation de devoir réintégrer en elle-même une part extériorisée de son surgissement originaire. Qu’on songe, par exemple, à ce qu’a été son long travail théologique, opéré par les Pères de l’Église, pour reprendre l’événement du christianisme en son propre champ. Il y a fallu des siècles. Aujourd’hui, c’est sans doute sur ce modèle qu’il faut penser la relation de la philosophie et de la psychanalyse. L’époque des Pères fondateurs, pour cette dernière, est sans doute achevée. Il s’en suit une période de pratiques et de rites qui ne peuvent que se figer si la vivacité socratique ne vient en resituer les découvertes dans le temps long d’une civilisation qui a fait du sens de l’énigme sa matrice. Qu’il y faille au moins un siècle n’est pas une raison pour ne pas commencer.

     Dans la lecture du livre de Colette Soler, nous voudrions esquisser trois pistes, parmi bien d’autres possibles, afin d’illustrer la démarche qui est la nôtre.

     

    Première esquisse 

     Colette Soler évoque « le temps qu’il a fallu à Lacan pour assécher l’usage du terme de ‘symbole’ qui lui venait d’avant, et pour lui substituer celui de ‘signifiant’ » (p. 7). Que veut-elle dire ?

     La métaphore établit un lien entre un élément matériel et un autre élément matériel. C’est de ce lien que résulte une idée. Elle est une structure plus complexe que la symbolisation, qui établit un rapport entre un symbolisant matériel et un symbolisé idéel. En avançant sur la voie lacanienne, la psychanalyse opère une effraction du symbolique : le symbolisé devient fuyant et ne reste alors qu’un symbolisant ouvert, béant, en attente d’un symbolisé qui ne vient pas. Dans le vocabulaire de Saussure, on peut dire que le signifiant reste béant et le signifié en fuite. De même, la métaphore en vient à se disjoindre, au point que l’entre-deux ne tient plus les éléments et rate à produire du sens. C’est ainsi que Lacan nous invite à passer d’une conception sémantique, qui suppose un dualisme, à une conception immanente d’une signifiance qui, à défaut de produire du sens, procure de la jouissance à un corps.

    D’où il résulte que l’homme est un être divisé. En lui, une activité intellectuelle consciente ne cesse de produire du sens, tandis qu’une activité somatique inconsciente ne cesse de chercher une jouissance. Une jouissance qui suppose la destruction de ce que l’intelligence élabore et construit. Lacan, après un long cheminement, en revient à d’où il était parti, à savoir l’apport de Georges Bataille. C’est pour lui une affaire de famille, mais c’est pour nous une affaire d’anthropologie fondamentale : l’homme est un être qui se défait au fur et à mesure qu’il se fait. Car la découverte de Bataille est que le progrès qui construit et accumule ne conduit jamais à la jouissance. Celle-ci, l’homme ne peut se la procurer que par la dépense, dit-il, une dépense soudaine et irrattrapable, sur le modèle de ce qu’a décrit Mauss. Par la dépense, c’est-à-dire par la destruction. De l’inconscient il n’y a que pour détruire ou défaire ce que l’homme produit. Ce qu’il produit matériellement par le capitalisme. Ce qu’il produit intellectuellement par la science. L’homme est l’être qui consume dans une vaine jouissance ce que par ailleurs il a tant travaillé à accumuler.

    Voilà qui est une contre-philosophie de l’histoire. Car dans la philosophie de l’histoire, à savoir celle de Hegel, dont Bataille comme Lacan sont partis, la négativité contribue, dans le jeu de la dialectique, à faire avancer l’humanité. C’est une négativité contributive si l’on peut dire. Lacan, après Bataille et le confirmant de Freud, conçoit l’inconscient comme une dynamique contre-historique qui revient à de la jouissance archaïque, et ne vise qu’à y rester. C’est le symptôme, dans ce qu’il a d’insuppressible, qui en atteste.

    D’un point de vue de la culture, cette découverte n’est que la répétition de tout ce qui s’est exposé, sur une scène à ciel ouvert, dans les tragédies grecques. La clinique n’ajoute rien au théâtre, mais ne fait que le répéter. Lacan ne réinvente pas l’inconscient mais ne fait que retrouver, à partir de Freud, ce que la tragédie enseignait déjà aux Anciens. Car, si l’inconscient ne peut pas se mettre en mathèmes, il se représente sur des scènes. Il n’en faut chercher le premier savoir ni chez Pythagore, ni dans Euclide, mais chez Echylle et Sophocle, comme Freud l’a tout de suite compris. Le tragique de l’histoire vient, à contre-histoire, démentir tout progressisme. On voit tous les jours que la politique qui prétend au bien commun est sans cesse doublée par un inconscient collectif qui en annule tous les effets escomptés. Quant aux existences elles-mêmes, cure ou pas cure, elles n’ajoutent rien à des jouissances enfantines qu’elles insistent à répéter dans des symptômes qui finissent par les bêtifier ou les détruire, et récusent toute idée de progrès moral.

     

    Deuxième esquisse

    Que le corps soit un appareil de jouissance, nul ne l’a mieux accentué, avant Lacan, que Saint Augustin. C’est ce que depuis lui l’on nomme la concupiscence. Et c’est sans doute en lien avec le fait qu’Augustin est l’un des premiers à être sensible à « lalangue », à cette sonorité présémantique dans laquelle le puer baigne encore avant d’apprendre à parler. Il est vrai que l’évêque d’Hippone avait été un musicologue de premier rang avant sa conversion. De même que Socrate apprend la musique sur le tard, Augustin l’avait apprise dès sa jeunesse. Aussi ces deux philosophes, l’Athénien et le Chrétien, ont-ils eu l’oreille qu’il faut pour ne pas s’en tenir aux sens des paroles. La glossolalie a d’ailleurs toute sa place dans Les Actes des Apôtres comme s’il s’agissait d’offrir à Dieu la jouissance du corps parlant.

     Car si Colette Soler insiste sur le fait que la jouissance ne fasse pas lien, elle peut néanmoins être collective. Il en va de même de la sexualité, qui, bien qu’elle ne mette pas en rapport, se partage néanmoins, le plus fréquemment à deux. C’est pourquoi il y aurait lieu d’orienter la psychanalyse vers la prise en compte de ces phénomènes de jouissance collective dont maints rites offrent des exemples.

    En tout cas, le néo-augustinisme du dernier Lacan mérite bien d’être reconnu et c’est ce qu’on pouvait attendre d’une philosophe psychanalyste. Car l’inconscient, réel, n’est pas une découverte sans précédent. L’orant porte ses jouissances à la face de son dieu. Ce que Colette Soler ne dit pas, mais vers quoi Bousseyroux a ouvert quelques chemins, c’est que l’intérêt que le séminaire Encore manifeste pour la mystique atteste que Lacan était sur le chemin de reconnaître combien Dieu a été un objet de jouissance. De jouissance du corps. On peut regretter que le psychanalyste ensuite s’embringue à ce point dans la glossolalie de Joyce sans déployer ses découvertes dans une histoire culturelle où elles auraient trouvé de nombreux points d’accroche. C’est sans doute un travail qui s’ouvre à nous.

     

    Troisième esquisse

     A mon avis, le plus réussi du livre de Colette Soler est la manière dont elle pose bien la question de la fin de l’analyse. A partir du moment où l’inconscient peut s’interpréter à l’infini, comment éviter l’écueil de l’analyse sans fin ? D’abord, elle mentionne l’épuisement du désir de comprendre et d’interpréter. Ensuite, elle explique bien que la séparation analyste/analysant s’opère par la mise en place d’une « identité de jouissance » (p. 105) chez l’analysant. Après avoir identifié son symptôme le plus singulier, et l’avoir mis en avant au détriment des symptômes du transfert, il en vient à le trouver vivable, socialisable même, et parvient à l’accepter avec un certain bonheur. « S’identifier au symptôme à la fin de l’analyse, c’est donc changer de symptôme, troquer le symptôme de transfert pour le symptôme fondamental... » (p. 113).

    Ce qui revient à poser avec force la question de la personnalité. Il y a des personnalités d’aliénation qui ne s’affirment que sous l’exigence de l’Autre. Et il y a des personnalités de singularité. La psychanalyse aide à accoucher des secondes, la société se chargeant de produire à la pelle les premières.

     Le travail de la cure renvoie à la maïeutique socratique. Il s’agit non pas de changer de personnalité, car c’est bien la même personnalité entre deux pôles, un pôle aliéné et un pôle singulier. Il s’agit d’introduire un espace de jeu entre les deux afin de libérer la personnalité de singularité. S’il est un mot qui peut retrouver un sens par la psychanalyse, c’est celui d’âme : l’âme, c’est la singularité d’un corps objectée à la loi de l’Autre. Ce corps, qui fait l’âme, est un corps de jouissance. D’une jouissance qui, en fin de compte, s’offre à un dieu, que celui-ci soit le Dieu de la mystique ou l’une de ces valeurs qui nous dépassent et nous fondent et dont Colette Soler parle bien dans la dernière partie de son livre.

     Dans cette dernière partie, Colette Soler envisage ce qu’elle appelle « les perspectives politiques » de la psychanalyse. Elle met notamment en évidence deux points. Le premier, c’est la jouissance normalisée qu’impose le capitalisme à des individus esseulés, addicts à des produits et pauvres en relations humaines. Le deuxième tient aux résistances nouvelles que rencontre la psychanalyse dans sa maïeutique des singularités. Le rapport entre ces deux points est que la jouissance des produits et des machines, la jouissance normalisée, fait obstruction à ce que la psychanalyste appelle « l’identité de jouissance ». Cette dernière, en effet, a besoin d’être accouchée hors norme par la maïeutique analytique. Elle est symptomatologique, et non pas normalisante. Et le symptôme, c’est précisément l’esquisse de l’âme. C’est-à-dire qu’il ouvre non pas sur une addiction mais sur une jouissance offerte.

    On peut regretter, bien sûr, que Colette Soler ne dégage pas assez cet écart qui se creuse entre deux jouissances, l’une addictive et l’autre que je me risque à nommer offerte, mais qu’on pourrait peut-être aller jusqu’à dire oblative. Car les personnalités de singularité, pour désaliénées qu’elles soient, n’esquivent pas la question du don de soi. Etre aliéné à l’Autre, être dévoué à sa fonction sociale, ce n’est pas s’offrir et se donner. On confond souvent, d’une confusion lourde de conséquence, le sacrifice à l’Autre (que Freud pense sous la catégorie sur sur-moi) et l’offrande de la jouissance.

    Colette Soler montre bien que le symptôme est une dissidence inscrite dans le corps, une résistance à la loi de l’Autre. En jouir, comme le font les personnalités de singularité accouchées par l’analyse, n’est un repli narcissique que s’il ne fait pas lien. C’est ce qui arrive lorsque la jouissance est directement branchée à la machine, à la production, à la consommation. Mais il est des jouissances qui font lien et qui font âme : ce sont celles qu’on offre à son dieu. Les personnalités singulières objectent leur dieu à l’ordre des aliénations sociales. Et, à leur dieu, elles offrent le symptôme dont elles jouissent corporellement.

    Là encore, Socrate, qui est le symptôme de la philosophie, a ouvert le chemin. Il n’a cessé d’évoquer ce dieu, qui lui était très personnel, non seulement pour justifier sa singularité désaliénée d’Athènes (qu’on nomme son atopie) mais aussi pour attester que cette voix démonique était sa jouissance et l’objet véritable de son amour. Encastrée au creux du corps, à son oreille, elle lui donnait aussi bien son âme, cette âme dont philosopher est d’avoir souci. Or à ce dieu, ce pourrait être folie de vouloir lui offrir, de la manière la plus oblative qui soit, cette jouissance, mais c’est une folie qui fait lien et qui fait âme. Et même qui fait civilisation. Car le divin est la somme des jouissances contemplatives, orantes, mystiques et esthétiques qui lui ont été oblativement offertes par des personnalités singulières. Parfois dans le secret de la méditation et de la prière, parfois dans le faste des constructions les plus baroques.

     Ce que la psychanalyse appelle la cure, dont Colette Soler exprime sur quoi elle débouche, est l’un de ces véhicules, comme disent les bouddhistes, l’une de ces voies dynamiques et transitives, l’un de ces arts maïeutiques pour parler comme Socrate, dont la finalité est de permettre qu’advienne l’autre personnalité, la désaliénée. Cette personnalité de singularité dont les sociétés d’aujourd’hui ne veulent plus dans leur projet de mécanisation fonctionnelle de la vie. Mais dans ce projet social de forclusion de l’âme et de ses béatitudes, l’insistance du symptôme, l’irréductibilité de la jouissance hors sens et hors fonction demeurent, au moins en creux, la place de l’humain. Celui que le vieux Lacan nommait LOM ! 

     

     

     

     

     

     


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